Refus de soins en prison

En détention, la responsabilité du refus de soins dépendra du moment où celui-ci est survenu, soit lors de votre demande de soins auprès des surveillants, lors de votre transport vers l’établissement de santé concerné, soit dans le cadre des soins par le soignant lui-même. Les instances qu’il vous faudra saisir seront alors différentes.

Que puis-je faire si j’ai été victime de refus de soins ?

Lorsque vous demandez à bénéficier de soins, le fait pour le personnel pénitentiaire de refuser que vous y accédiez constitue un refus de soins. Cela peut être le cas lorsqu’un surveillant refuse de transmettre votre demande de soins ou de vous laisser circuler jusqu’au service concerné lorsque vous avez rendez-vous. Il en est de même lorsque, faute d’escorte, vous ne pouvez être recevoir les soins nécessaires au sein d’un établissement situé en dehors de l’établissement pénitentiaire. Les surveillants ne sont pas des professionnels de santé, et ne peuvent donc pas juger de votre état de santé et de la nécessité que vous consultiez un soignant, ou que votre état de santé nécessite des soins.

En cas de refus de soins par les membres du personnel pénitentiaire, plusieurs responsabilités pourront être engagées selon la situation :

  • avant d’engager une procédure judiciaire, vous pouvez écrire au directeur de l’établissement pénitentiaire pour l’informer de la situation et lui demander à ce qu’il intervienne afin que vous puissiez accéder aux soins dont vous avez besoin ; 
  • les surveillants sont des fonctionnaires, la réparation du préjudice lié au refus de soins relève de l’établissement pénitentiaire. Vous pourrez donc saisir le juge administratif en demandant à être indemnisé. Votre préjudice doit être “certain, personnel et direct”, c’est-à-dire que le dommage doit pouvoir être prouvé, qu’il vous atteint personnellement, et qu’il découle du refus de soins. Si vous en faites la demande, le juge pourra également contraindre l’administration à vous permettre d’accéder aux soins ;
  • leur propre responsabilité pénale pourra être engagée si le fait que vous n’ayez pas reçu de soins, ou les conséquences de l’absence de soins sont constitutifs d’une infraction pénale (mise en danger de la vie d’autrui, coups et blessures involontaires, non-assistance à personne en danger, etc.).

Si vous avez été victime d’un refus de soins dans le cadre d’une consultation ou d’une hospitalisation, la situation est différente. Plusieurs recours s’offrent à vous :

  • vous pourrez engager une procédure auprès de l’établissement dont dépend le service en question afin de demander la mise en place d’une médiation ;
  • comme pour les surveillants, les soignants des USMP, des SMPR, des UHSI, des UHSA et des hôpitaux de proximité sont des fonctionnaires, et l’établissement administratif dont ils dépendent est responsable de l’indemnisation de votre dommage. Vous pouvez donc saisir le juge administratif afin que celui-ci évalue la réparation de votre préjudice. Il doit aussi être “certain, personnel et direct” ;
  • vous pourrez aussi engager sa responsabilité pénale, par exemple si son comportement est constitutif du délit de mise en danger de la vie d’autrui.

De manière générale, si vous êtes ou avez été en détention, que ce soit en prison, ou en garde à vue, et que vous avez fait l’objet d’un refus de soin, vous pouvez aussi saisir le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ainsi que le Défenseur des droits (DDD).

Le refus de soins dans les cas d’urgence

Il est rare qu’il y ait un tour de garde dans tous les établissements pénitentiaires en dehors des jours et heures d’ouverture des unités.

Au moindre doute sur votre état de santé, les surveillants ont l’obligation réglementaire de contacter le SAMU (15), qu’ils aient été alertés par une autre personne, ou sur leur propre initiative (Instruction interministérielle N° DGS/SP/DGOS/DSS/DGCS/DAP/DPJJ/2017/345 du 19 décembre 2017 relative à la publication du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice, p°195). Le fait qu’un surveillant ne vous permette pas d’accéder à un service de santé, par exemple en refusant d’appeler le SAMU, en donnant des informations partielles au médecin-régulateur, ou en interprétant vos propos, constitue un refus de soins.

En ne contactant pas le SAMU, un surveillant vous empêche de bénéficier des soins dont vous avez besoin. Ce refus n’est a priori pas discriminatoire car, malheureusement, tous les détenus peuvent en faire l’objet quelqu’en soit la cause.

Si un surveillant a refusé de contacter le SAMU vous pourrez d’abord écrire au directeur de l’établissement pénitentiaire pour lui demander de prendre des mesures contre le fonctionnaire. Vous pourrez aussi écrire au Contrôleur général des lieux de privation de liberté et au Défenseur des droits. Les actes et les décisions des fonctionnaires engagent la responsabilité de l’établissement pénitentiaire, vous pourrez saisir le juge administratif afin de demander la réparation du dommage découlant du refus de soins.

Les surveillants demandent souvent des informations sur votre état de santé afin de déterminer s’ils doivent contacter le SAMU. Vous n’avez pas l’obligation de leur dire quoi que ce soit. Seul un professionnel de santé pourra dire si votre état nécessite une intervention. Le surveillant n’a donc pas le droit de vous demander de révéler des informations sur votre santé, que ce soit en présence d’autres détenus ou seul. Les questions les plus intimes, même posées de manière bienveillante, par un représentant de l’autorité, sont toujours perçues comme une forme de violence. C’est pour cela que toutes les consignes prévoient que le détenu doive parler au médecin régulateur directement. Mais c’est rarement le cas, et le surveillant joue souvent le rôle d’intermédiaire entre vous et le SAMU et vous êtes obligé de lui transmettre des informations sur votre état de santé. Le secret professionnel s’impose aux personnels pénitentiaires. Mais en réalité, cette obligation ne s’impose qu’à l’extérieur de l’administration, et les surveillants peuvent être amenés à échanger sur votre situation entre eux ou avec leur hiérarchie.

Lorsque le SAMU est contacté, le médecin-régulateur juge s’il est nécessaire ou non d’intervenir en fonction des informations que vous avez transmis. Si le refus d’intervenir du SAMU ne repose pas sur des éléments objectifs au regard de votre état de santé, cela est constitutif d’un refus de soins.

Les surveillants et le SAMU peuvent vous dire qu’il vous suffit d’attendre quelques heures pour que l’USMP soit ouvert et que vous puissiez être examiné. Mais comme toute personne, vous avez le droit d’accéder à un service de santé quand votre état le nécessite. Le fait que vous ayez pu bénéficier de soins dès l’ouverture de l’USMP dans les heures suivants l’urgence ne fait pas disparaître le refus de soins dont vous avez été victime, ainsi que la violence de la situation que vous avez vécu. Vous pourrez déposer plainte contre le médecin-régulateur, s’il avait toutes les informations sur votre état de santé. Si le surveillant ne lui a pas transmis toutes les informations, la responsabilité pénale peut être engagée.

Toutes ces procédures sont parfois longues et complexe et les chances de succès ne sont pas garanties. Mais vous pourrez toujours vous appuyer sur des associations, soit qu’elles soient spécialisées dans l’aide aux détenus comme l’OIP, soit qu’elles soient spécialisées dans le soutien aux PVVIH, comme AIDeS, Les Séropotes, etc.

Les autres voies de recours en cas de refus de soins

Plusieurs voies de recours s’offrent à vous, que ce soit des voies de recours non juridictionnelles ou des voies de recours faisant intervenir un juge. Engager une procédure juridictionnelle ne permet pas toujours d’apporter une réponse adéquate à la situation dans laquelle une victime se trouve, d’autres voies peuvent être explorées et démontrent, parfois, leur pertinence et leur efficacité.

Les voies de recours non juridictionnelles

Si vous êtes victimes d’un refus de soins alors que vous êtes en détention, vous pouvez saisir le Contrôleur général des lieux de privation de liberté afin que celui-ci enquête sur votre situation s’il juge cela nécessaire.

Vous pourrez aussi saisir le Défenseur des droits, en fonction des circonstances dans lesquelles s’est produit le refus de soins, soit au titre de sa compétence de lutte contre les discriminations, soit en raison de sa celle de défense des libertés et des droits des fondamentaux des administrés et des usagers de services publics (par exemple si vous avez été victime d’un refus de soins dans un hôpital, etc.).

 Environ 15% des cas transmis au Défenseur des droits portent sur des discriminations, et 10% portent sur des refus de soins (Brochure du Défenseur des droits, Un dispositif unique de protection des droits et libertés, Septembre 2016, p°50 ; et Nicolas KANHONOU, participation à la table ronde relative aux “Missions des ordres de santé et du Défenseur des Droits. Recours et perspectives d’évolution”, op. cit., pp.52-53).

Si vous souhaitez saisir le défenseur des droits, votre objectif sera d’apporter les preuves dont vous disposez (écrits, enregistrements, témoignages, etc.) pour établir la réalité du refus de soins. Le soignant devra s’expliquer sur votre plainte, et sur les éléments qui la justifient. S’il refuse de répondre, malgré les relances du Défenseur des droits, celui-ci considérera qu’il n’y a pas d’éléments justifiant le refus de soins du professionnel de santé.

Suite à son enquête, s’il considère qu’il y a suffisamment d’éléments démontrant que vous avez été victime de discrimination, il pourra demander à ce que des poursuites disciplinaires soient engagées devant le conseil de l’ordre (Décision 2019-273 du Défenseur des droits du 25 octobre 2019 relative à une discrimination à l’accès aux soins d’une patiente en raison de sa séropositivité). Notez que le soignant saura que c’est vous qui êtes à l’origine de la plainte.

Le Défenseur pourra aussi publier la décision relative à votre affaire en anonymisant les éléments qui pourraient permettre de vous identifier.

Si vous ne souhaitez pas saisir le Défenseur des droits vous-même, vous pourrez saisir les associations membres des comités d’entente, comme le comité d’entente santé. Les associations pourront agir comme des intermédiaires en faisant remonter votre “réclamation” lors d’une réunion pour illustrer ce type de pratiques. La réclamation ne sera pas traitée comme une saisine, mais pourra  quand même donner lieu à des actions du défenseur des droits. Il existe cependant très peu d’associations membres de ce comité d’entente, et encore moins d’associations de personnes vivant avec le VIH. Cependant, même en dehors des instances officielles, l’action des associations peut entraîner une alerte du défenseur des droits.

Les voies de recours juridictionnelles

La discrimination est constitutif d’un délit lorsqu’elle consiste à ce que vous soyez traiter de manière moins favorable qu’une autre personne en raison de votre état de santé, et que le comportement de l’auteur correspond à l’un de ceux visés par l’article 225-2 du Code pénal, comme par exemple, le fait de vous refuser la fourniture d’un bien ou d’un service, ou de subordonner le fait de le fournir à l’un des critères prohibés par le Code pénal, comme votre état de santé.

Vous disposez d’un délai de six ans à compter des faits pour déposer plainte auprès du juge pénal (Article 8 du Code pénal).

Si vous considérez avoir été victime d’une discrimination, vous pourrez déposer plainte auprès des services de police, de gendarmerie, ou du procureur de la République territorialement compétents. Essayez d’apporter toutes les preuves dont vous disposez (écrits, témoignages, enregistrements, ect.). Vous ou le procureur de la République devrez démontrer la réalité du traitement défavorable, que celui-ci est lié à votre état de santé, que cela à conduit à ce que vous ne puissiez pas bénéficier de soins, et que le soignant avait plus ou moins conscience de ses agissements.

Si vous parvenez à démontrer ces éléments et que le juge considère que la discrimination est bien constituée, l’auteur des faits pourra être condamné à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende maximum.

Vous pourrez aussi, en vous constituant partie civile au procès (car ce n’est pas vous qui demandez la condamnation du soignant, mais le procureur de la République), demander au juge à obtenir la réparation du préjudice que vous avez subi. Le juge pénal, s’il considère que cela est justifié, pourra en plus d’une condamnation à une éventuelle peine pénale, condamner l’auteur à vous verser des dommages et intérêts.

Vous pourrez aussi porter plainte contre le soignant pour mise en danger de la vie d’autrui, coups et blessures en raison des conséquences sur votre santé de son refus de vous soigner, etc.

Cependant, les mêmes faits ne peuvent ni conduire à plusieurs peines, ni conduire à plusieurs condamnations. Le professionnel de santé ne pourra donc être condamné qu’au titre d’une seule infraction.

Si vous ne vous êtes pas constitué partie civile dans le cadre du procès pénal, vous pourrez toujours saisir le juge civil en demandant à engager, selon le cas, la responsabilité délictuelle, quasi-délictuelle, ou contractuelle du professionnel de santé et à obtenir le versement de dommages et intérêts.

Les actions pour obtenir la réparation du dommage que vous avez subi et découlant d’une discrimination, se prescrivent au bout d’un délai de cinq ans à compter du jour où vous avez été discriminé (Article 2224 du Code civil).

Si le refus de soins du soignant vous a causé un dommage corporel, vous pourrez former une action contre lui et engager sa responsabilité pendant dix ans à compter de la date à laquelle votre dommage se sera stabilisé et ne pourra plus s’aggraver (Article 2226, alinéa 1 du Code civil).

Un kit “Info Droits et santé en prison” et une série de courtes vidéos donne accès à des informations de base sur les droits en milieu carcéral, répondant aux préoccupations les plus courantes sur le thème de la santé et des droits.

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